BertrandRussell. Date de parution : 26/01/2002; Editeur : Allia ; EAN : 9782844850836; Série : (-) Support : Poche Prix littéraire(s) : (-) Résumé: L'Eloge de l'oisiveté est une pépite dénichée dans l'oeuvre immense et protéiforme de Bertrand Russel. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe
Les mĂ©thodes de production modernes ont rendu possibles le confort et la sĂ©curitĂ© pour tous ; Ă la place, nous avons choisi le surmenage pour les uns et la famine pour les autres. JusquâĂ prĂ©sent nous avons continuĂ© Ă dĂ©ployer la mĂȘme activitĂ© quâau temps oĂč il nây avait pas de machines ; en cela nous nous sommes montrĂ©s stupides, mais rien ne nous oblige Ă persĂ©vĂ©rer Ă©ternellement dans cette stupiditĂ©. Bertrand Russell, Eloge de lâoisivetĂ©, 1932 1 NDT Syndrome dâĂ©puisement professionnel. 1Quatre-vingt ans et une crise Ă©conomique mondiale plus tard, notre intelligence nâa manifestement guĂšre progressĂ©, au contraire si depuis lors la productivitĂ© du travail dans lâindustrie et lâagriculture sâest vue grosso modo dĂ©cuplĂ©e, on ne peut pas dire quâelle ait apportĂ© Ă tous confort et sĂ©curitĂ©. LâEurope, qui certes, pour le moment, sâest sort encore relativement bien, assiste Ă une hausse record de son taux de chĂŽmage. Quant aux quelques Ăźlots qui demeurent compĂ©titifs au plan global, ils luttent depuis des annĂ©es dĂ©jĂ contre les nouvelles pandĂ©mies provoquĂ©es par la contraction progressive de lâoffre de travail du burn-out-syndrom1 Ă la mort subite due au surmenage en passant par la consommation routiniĂšre de produits psychopharmaceutiques. 2Gardons-nous cependant dâimaginer que cette ardeur excessive au travail constatĂ©e par Russell ne serait rien dâautre quâune habitude devenue obsolĂšte et quâil nous suffirait de laisser tomber â une habitude hĂ©ritĂ©e du temps oĂč il nây avait pas de machines. Au Moyen Age, oĂč le travail comme fin en soi Ă©tait chose inconnue, on travaillait en fait moins quâaujourdâhui. La raison en est simple le travail tel que nous lâentendons, câest-Ă -dire la dĂ©pense abstraite dâĂ©nergie humaine indĂ©pendamment de tout contenu particulier, est historiquement spĂ©cifique. On ne le rencontre que sous le capitalisme. Dans nâimporte quelle autre formation sociale, lâidĂ©e aujourdâhui si universellement rĂ©pandue selon laquelle un travail, quel quâil soit, vaut mieux que pas de travail » aurait paru, Ă juste titre, complĂštement dĂ©lirante. 3Ce dĂ©lire est le principe abstrait qui rĂ©git les rapports sociaux sous le capitalisme. Si lâon fait abstraction des activitĂ©s criminelles, le travail â quâil sâagisse du nĂŽtre ou de lâappropriation de celui dâautrui â est pour nous lâunique moyen de participer Ă la sociĂ©tĂ©. Mais, en mĂȘme temps, il ne dĂ©pend pas du contenu de lâactivitĂ© en question ; que je fasse pousser des pommes de terre ou que je fabrique des bombes Ă fragmentation nâa aucune importance, du moment que mon produit trouve un acheteur et transforme ainsi mon argent en davantage dâargent. Base de la valorisation de la valeur, le travail constitue une fin en soi et un principe social contraignant dont lâunique but consiste Ă accumuler toujours plus de travail mort » sous forme de capital. 2 On trouvera cette citation et presque toutes les suivantes sur le trĂšs intĂ©ressant site internet ww ... 4Une contrainte Ă laquelle tout est soumis dans la mĂȘme mesure ne se maintiendra durablement quâĂ condition que ceux quâelle ligote apprennent Ă aimer leurs chaĂźnes. En cela aussi la sociĂ©tĂ© bourgeoise se distingue des prĂ©cĂ©dentes. DâAristote Ă Thomas dâAquin en passant par Augustin, les philosophes de lâAntiquitĂ© et du Moyen Age ont cĂ©lĂ©brĂ© lâoisivetĂ© â et surtout pas le travail â comme la voie menant Ă une vie heureuse2 Au dire de la plupart des hommes, le bonheur ne va pas sans le plaisir. Aristote 384 â 322 av. Ethique Ă Nicomaque Lâapprentissage de la vertu est incompatible avec une vie dâartisan et de manĆuvre. Aristote, Politique Quittons ces vaines et creuses occupations abandonnons tout le reste pour la recherche de la vĂ©ritĂ©. Augustin 354 â 430 ap. Les Confessions Absolument et de soi la vie contemplative est plus parfaite que la vie active. Thomas dâAquin 1125 â 1274, Somme thĂ©ologique 5Dâautres ne seront pas du mĂȘme avis, tels par exemple les fondateurs de certains ordres monastiques qui verront dans le travail un moyen dâatteindre lâascĂšse et lâabstinence. Mais câest seulement au protestantisme quâil reviendra dâen faire un principe Ă grande Ă©chelle, appliquĂ© Ă lâensemble de la population LâoisivetĂ© est pĂ©chĂ© contre le commandement de Dieu, car Il a ordonnĂ© quâici-bas chacun travaille. Martin Luther 1483 â 1546 6Et les LumiĂšres nâauront de cesse dâĂ©lever l'ethos du travail, autrement dit lâobligation morale de travailler, au rang de fin en soi Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent Ă travailler. Lâhomme est le seul animal qui doit travailler. Kant, RĂ©flexions sur lâĂ©ducation, 1803 La plus grande perfection morale possible de lâhomme est de remplir son devoir et par devoir. Kant, Principes mĂ©taphysiques de la morale, 1797 Il nâexiste quâune seule Ă©chappatoire au travail faire travailler les autres pour soi. Kant, Critique du jugement, 1790 De ces trois vices la paresse, la lĂąchetĂ©, la faussetĂ©, le premier semble ĂȘtre le plus mĂ©prisable. Kant, Anthropologie dâun point de vue pragmatique, 1798 Que lâon sâinforme tout particuliĂšrement sur les personnes qui se distinguent par une conduite indigne ! On dĂ©couvrira invariablement soit quâelles nâont pas appris Ă travailler, soient quâelles fuient le travail. Fichte, Discours Ă la nation allemande, 1807 7Comme il apparaĂźt dĂ©jĂ dans les derniĂšres citations, lâamour du travail sâavĂšre Ă©troitement liĂ© Ă la haine des oisifs Chacun doit pouvoir vivre de son travail, dit un principe avancĂ©. Ce pouvoir-vivre est donc conditionnĂ© par le travail et nâexiste nullement lĂ oĂč la condition ne serait pas remplie. Fichte, Fondement du droit naturel, 1796 Dans les pays chauds, lâhomme est mĂ»r plus tĂŽt Ă tous Ă©gards mais nâatteint pas la perfection des zones tempĂ©rĂ©es. LâhumanitĂ© dans sa plus grande perfection se trouve dans la race blanche. Les Indiens jaunes nâont que peu de capacitĂ©s, les Noirs leur sont bien infĂ©rieurs encore, et au plus bas de lâĂ©chelle se placent certaines peuplades amĂ©ricaines. Kant, GĂ©ographie physique, 1802 Le barbare est paresseux et se distingue de lâhomme civilisĂ© en ceci quâil reste plongĂ© dans son abrutissement, car la formation pratique consiste prĂ©cisĂ©ment dans lâhabitude et dans le besoin dâagir. Hegel, Principes de la philosophie du droit, 1820 8Ces propos excluants et racistes sous la plume des philosophes des LumiĂšres ne sont nullement de simples accidents de parcours mais relĂšvent au contraire de lâessence mĂȘme de lâidĂ©ologie du travail. Parce que ce courant de pensĂ©e transfigure le travail en vĂ©ritable but de lâexistence de lâhomme », tous les dĂ©sĆuvrĂ©s se voient par contrecoup exclus de la race humaine » lâhomme est tenu de travailler ; partant, celui qui ne travaille pas ne peut prĂ©tendre au statut dâĂȘtre humain Ă part entiĂšre. 3 NDT Allusion Ă la vision nazie mais qui est aussi celle dâune partie de la gauche opposant un bo ... 9Ce qui sâexprime ici, câest la colĂšre du bourreau de travail blanc envers la pression quâil sâest lui-mĂȘme imposĂ©e, une colĂšre qui prend pour cible tout ce qui fait mine de ne pas se soumettre Ă ladite pression et de mener une existence oisive les femmes, en charge de la vraie vie » au sein de la sphĂšre privĂ©e â dissociĂ©e du travail â de la famille bourgeoise ; toutes sortes de peuples les attributions sont, cette fois, plus variĂ©es vivant, sans travailler, dâamour et dâeau fraĂźche ; ou encore le capital accapareur3 », qui sâapproprie sans travailler la survaleur créée par dâautres. Les idĂ©ologies modernes du sexisme, du racisme, de lâantitsiganisme et de lâantisĂ©mitisme sont fondĂ©es, elles aussi, sur l'ethos du travail. 4 NDT Le championnat fĂ©dĂ©ral allemand. 5 NDT Le championnat europĂ©en. 10Ă partir des annĂ©es 1970, en faisant disparaĂźtre du procĂšs de production des quantitĂ©s toujours croissantes de travail, le potentiel de rationalisation de la microĂ©lectronique a plongĂ© le capitalisme dans la crise. Pour autant, la pression intĂ©rieure et extĂ©rieure qui pousse les hommes Ă travailler nâa pas diminuĂ© mais sâest mĂȘme au contraire accentuĂ©e Ă mesure que se rarĂ©fiaient les emplois ». Pour les laissĂ©s pour compte, les conditions se sont durcies ils sont dĂ©sormais trop nombreux pour que leur entretien humain reste longtemps encore compatible avec le maintien de la compĂ©titivitĂ© au plan global. La nĂ©cessitĂ© incontournable de ramener les hommes au travail » Angela Merkel ne fait quâobscurcir la perception du problĂšme la responsabilitĂ© du chĂŽmage ne serait plus imputable Ă la disparition progressive du travail mais aux chĂŽmeurs eux-mĂȘmes, quâil faudrait par consĂ©quent ramener, par tous les moyens de coercition dont on dispose, Ă un travail qui nâexiste plus. Quelque chose de semblable se dĂ©roule Ă©galement au niveau europĂ©en on impose aux pays en faillite » restĂ©s Ă la traĂźne de lâEurope des politiques dâaustĂ©ritĂ© grĂące auxquelles ils sont censĂ©s, une fois cette pĂ©nible Ă©preuve traversĂ©e, redevenir compĂ©titifs. Câest aussi crĂ©dible que si la FĂ©dĂ©ration allemande de football prĂ©tendait, par un entraĂźnement appropriĂ©, hisser tous Ă la fois les dix-huit clubs de la Bundesliga4 aux quatre places possibles en Ligue des champions5. 11Il nây a manifestement dâissue que dans lâabolition du travail, mais cela implique bien sĂ»r dâabolir Ă©galement le capitalisme. Sây oppose en outre notre ethos du travail, fruit de plusieurs siĂšcles de dressage Dâaucuns diront quâil est certes agrĂ©able dâavoir un peu de loisir, mais que les gens ne sauraient pas comment remplir leurs journĂ©es sâils nâavaient Ă travailler que quatre heures par jour. Dans la mesure oĂč cela est vrai dans le monde moderne, cela constitue un reproche adressĂ© Ă notre civilisation ; Ă toute autre Ă©poque antĂ©rieure, ce nâaurait pas Ă©tĂ© le cas. Bertrand Russell, Eloge de lâoisivetĂ©, 1932 12Le sort que Hegel assignait aux barbares » nous revient donc celui qui est sans emploi nâa plus quâĂ rester plongĂ© dans son abrutissement ». Autrement dit si le sujet bourgeois rĂ©pugne tellement Ă imaginer sa vie sans le travail, câest aussi parce que derriĂšre son ethos du travail rĂŽde la peur panique de sa propre vacuitĂ©.
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Elogede l'oisivetĂ© - Bertrand RUSSELL - LâĂloge de l'oisivetĂ© est une pĂ©pite dĂ©nichĂ©e dans lâĆuvre immense et protĂ©iforme de Bertrand Russell. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe pour s'attaquer aux fondements mĂȘmes de la civilisation moderne. DerriĂšre l'humour et l'apparente lĂ©gĂšretĂ© du propos se
En fait, c'est dans son incertitude mĂȘme que rĂ©side largement la valeur de la philosophie. Celui qui ne s'y est pas frottĂ© traverse l'existence comme un prisonnier prisonnier des prĂ©jugĂ©s du sens commun, des croyances de son pays ou de son temps, de convictions qui ont grandi en lui sans la coopĂ©ration ni le consentement de la raison. Tout dans le monde lui paraĂźt aller de soi, tant les choses sont pour lui comme ceci et pas autrement, tant son horizon est limitĂ©; les objets ordinaires ne le questionnent pas, les possibilitĂ©s peu familiĂšres sont refusĂ©es avec mĂ©pris. Mais [...] Ă peine commençons-nous Ă philosopher que mĂȘme les choses de tous les jours nous mettent sur la piste de problĂšmes qui restent finalement sans rĂ©ponse. Sans doute la philosophie ne nous apprend-elle pas de façon certaine la vraie solution aux doutes qu'elle fait surgir mais elle suggĂšre des possibilitĂ©s nouvelles, elle Ă©largit le champ de la pensĂ©e en la libĂ©rant de la tyrannie de l'habitude. Elle amoindrit notre impression de savoir ce que sont les choses; mais elle augmente notre connaissance de ce qu'elles pourraient ĂȘtre; elle dĂ©truit le dogmatisme arrogant de ceux qui n'ont jamais traversĂ© le doute libĂ©rateur, et elle maintient vivante notre facultĂ© d'Ă©merveillement en nous montrant les choses familiĂšres sous un jour inattendu. Mais Ă cĂŽtĂ© de cette fonction d'ouverture au possible, la philosophie tire sa valeur - et peut-ĂȘtre est-ce lĂ sa valeur la plus haute - de la grandeur des objets qu'elle contemple, et de la libĂ©ration Ă l'Ă©gard de la sphĂšre Ă©troite des buts individuels que cette contemplation induit ». Bertrand Russell. ProblĂšmes de philosophie. 1912 Payot 1989, p. ThĂšme La philosophie. Questions Qu'est-ce qui fait la valeur de la philosophie ? N'a-t-elle pas plusieurs vertus ? Lesquelles ? ThĂšse La valeur de la philosophie ne tient pas Ă sa capacitĂ© Ă rĂ©pondre aux questions qu'elle affronte. A l'inverse de la science qui parvient Ă des rĂ©sultats positifs, la philosophie ne construit pas de savoirs positifs. Les questions qu'elles posent demeurent ouvertes car son champ de rĂ©flexion est le problĂ©matique. Il s'ensuit qu'elle cultive l'incertitude mais c'est largement» ce qui fait sa valeur. Celle-ci se dĂ©cline de deux maniĂšres D'une part le doute philosophique est ouverture au possible. D'autre part il Ă©largit des frontiĂšres du Moi en le dissolvant dans la contemplation de l'infinitĂ© de l'univers. Il est ainsi le vecteur d'une sĂ©rĂ©nitĂ© et d'une libertĂ© intĂ©rieure que seul peut connaĂźtre un spectateur dĂ©sintĂ©ressĂ© du monde. Eclaircissements Ce texte propose un Ă©loge de la philosophie car ce qui a de la valeur, c'est ce qui inspire le respect ou l'estime. Or paradoxalement, la valeur de la philosophie ne tient pas Ă ce qu'elle fait grandir la science des hommes et comble l'esprit dans son dĂ©sir de savoir. Sa valeur rĂ©side dans son incertitude. Notons que la prĂ©cision "largement" contient une rĂ©serve. L'incertitude n'Ă©puise pas la valeur de la philosophie mais elle en est une dimension essentielle. Qu'est-ce donc que l'incertitude et en quoi est-ce une vertu ? L'incertitude est le propre d'un esprit qui ne peut pas adhĂ©rer Ă un contenu de pensĂ©e parce qu'il a conscience de sa faiblesse thĂ©orique. Ne satisfaisant pas aux exigences rigoureuses de la vĂ©ritĂ©, celui-ci demeure douteux. Etre incertain consiste donc Ă ĂȘtre travaillĂ© par le doute. En ce sens, l'esprit philosophique est le contraire d'un esprit dogmatique. Il s'Ă©tonne, interroge et cherche une vĂ©ritĂ© capable de rĂ©sister aux objections des sceptiques. Bertrand Russell montre que cette attitude est Ă l'opposĂ© de l'attitude spontanĂ©e. Aussi dĂ©crit-il, en termes quasi platoniciens, les caractĂ©ristiques de l'homme Ă©tranger au questionnement philosophique. Celui-ci est un prisonnier. L'auteur Ă©numĂšre la nature des chaĂźnes le retenant prisonnier et nous apprenons que ce sont Les prĂ©jugĂ©s du sens commun. Les croyances de son temps et de son pays. L'habitude qui rend familier le monde environnant. Au fond, Russell pointe les mĂȘmes pesanteurs que celles que Platon indique dans l'allĂ©gorie de la caverne. AntĂ©rieurement Ă l'Ă©veil philosophique, l'esprit est le jouet de divers conditionnements. Il a une passivitĂ© propice aux redoutables sĂ©ductions du doxique. Les choses lui semblent aller de soi, et il croit tellement qu'elles sont comme on les dit couramment qu'il oublie de se demander si on les dit comme elles sont. Russell insiste sur ce carcan des convictions qui ont grandi en lui sans la coopĂ©ration ni le consentement de sa raison ». Comme Platon et Descartes, il Ă©pingle la fatalitĂ© de l'enfance qui fait qu'on a absorbĂ© avec le lait maternel et l'apprentissage d'une langue, quantitĂ© de croyances Ă l'Ă©laboration desquelles la raison n'a pas concouru. Il s'ensuit que l'esprit est toujours dĂ©jĂ vieux de ce qu'il a inconsciemment incorporĂ© de telle sorte que penser revient Ă se rĂ©veiller de cette somnolence et Ă dire non Ă un impensĂ© se donnant Ă tort pour une pensĂ©e personnelle. Car l'inertie intellectuelle a ceci de prĂ©judiciable qu'elle confĂšre l'autoritĂ© d'Ă©vidences aux prĂ©jugĂ©s les plus dĂ©nuĂ©s de fondement rationnel. L'Ă©vidence est le caractĂšre d'Ă©noncĂ©s dont la vĂ©ritĂ© saute aux yeux. DĂšs lors comment douter de ce qui paraĂźt Ă©vident ? Le sentiment de l'Ă©vidence rend impermĂ©able au doute. Et l'inaptitude au doute va de pair avec l'Ă©troitesse d'esprit car tant qu'on est persuadĂ© de possĂ©der la vĂ©ritĂ©, on n'est pas enclin Ă remettre en question ses certitudes. Les convictions opposĂ©es sont d'emblĂ©e disqualifiĂ©es. L'esprit passif est adhĂ©rent et bornĂ©. Il adhĂšre tellement qu'il est indisponible Ă d'autres maniĂšres de penser que les siennes au point de leur opposer une fin de non recevoir mĂ©prisante. Manque d'imagination. Que l'on puisse avoir tort n'effleure mĂȘme pas. Suffisance et sottise du dogmatisme. La philosophie affranchit de cette misĂšre intellectuelle et morale. Elle suggĂšre des possibilitĂ©s nouvelles, elle Ă©largit le champ de la pensĂ©e en la libĂ©rant de la tyrannie de l'habitude ». Il n'y a rien de pire qu'une Ăąme habituĂ©e affirme Russell en Ă©cho Ă PĂ©guy. Une Ăąme habituĂ©e est une Ăąme morte. Elle est tellement victime de la familiaritĂ© des significations dont elle est la caisse de rĂ©sonance qu'elle a perdu toute capacitĂ© d'Ă©tonnement et toute libertĂ© de faire surgir des significations ayant leur source dans sa propre activitĂ©. Or qu'est-ce que la pensĂ©e en l'homme ? C'est la fonction du possible. Le possible c'est ce qui n'est pas mais peut ĂȘtre. C'est ce qui existe dans la reprĂ©sentation avant de l'ĂȘtre dans la rĂ©alitĂ© si d'aventure l'homme se mĂȘle de faire exister ce qu'il a commencĂ© Ă imaginer ou Ă projeter. La reprĂ©sentation du possible est donc capacitĂ© de s'affranchir des limites du rĂ©el pour se projeter vers ce qui a son principe dans l'esprit humain. Tout contexte culturel est ainsi structurĂ© par un imaginaire propre Ă un peuple donnĂ© et l'expĂ©rience montre que les imaginaires sont multiples et divers. Etre habituĂ© consiste Ă ĂȘtre prisonnier d'un imaginaire singulier au point d'avoir perdu la possibilitĂ© de le confronter Ă d'autres imaginaires et d'en interroger la valeur de vĂ©ritĂ©. A l'inverse, philosopher c'est faire retour sur l'esprit pour dĂ©voiler le monde comme un esprit ou une libertĂ© peut le faire. C'est par exemple opposer Ă l'ordre de l'ĂȘtre celui du devoir-ĂȘtre et cela consiste Ă juger le monde auquel on appartient, en substituant aux normes sociales convenues, les normes spirituelles et morales. C'est envisager d'autres significations et d'autres valeurs que celles qui sont, elles aussi, convenues. Cette libertĂ© n'est rendue possible que par un effort d'affranchissement de la tyrannie de l'habitude ». Avec le mot tyrannie », l'auteur insiste sur la force et l'arbitraire du pouvoir qui asservit l'esprit Ă son insu. Comme Platon, il fait gloire Ă la philosophie de dĂ©stabiliser le dogmatisme arrogant de ceux qui n'ont jamais traversĂ© le doute libĂ©rateur » et de promouvoir ainsi une vĂ©ritable libĂ©ration intellectuelle et morale. Mais ce n'est pas tout. La philosophie a encore un mĂ©rite plus grand, une valeur plus haute. Non seulement elle fait respirer l'air de la libertĂ© intellectuelle et morale mais elle a encore l'avantage d'Ă©largir les intĂ©rĂȘts du Moi Ă une dimension telle que ceux-ci perdent toute consistance. Russell dĂ©crit ici l'ascĂšse des prĂ©occupations du Moi individuel que produit la philosophie par la seule efficacitĂ© de la contemplation de son objet. Son objet est la vĂ©ritĂ©, l'Etre dans sa totalitĂ© et ces objets sont proprement infinis. Dans la lumiĂšre de cet horizon, le Moi individuel se dĂ©leste de la fonction centrale qu'il occupe dans l'existence Ă©gotiste du sujet non pensant. Les intĂ©rĂȘts privĂ©s sont remis Ă leur place. Non point qu'ils soient sans intĂ©rĂȘt mais enfin leur caractĂšre dĂ©risoire dans l'infinitĂ© de l'univers apparaĂźt au grand jour. Et il y a dans cette dĂ©couverte une libĂ©ration inouĂŻe des soucis qui empoisonnent d'ordinaire la vie des hommes. Vus d'une certaine hauteur ceux-ci se relativisent et l'agitation inquiĂšte des existences quotidiennes bornĂ©es, l'angoisse s'apaisent, laissant place Ă la sĂ©rĂ©nitĂ©, au dĂ©tachement et Ă l'impassibilitĂ© d'une existence consacrĂ©e Ă la recherche de la vĂ©ritĂ© impersonnelle. Il y a lĂ une expĂ©rience attestĂ©e par de nombreux grands penseurs et savants. Je commençais Ă m'apercevoir, avouait dans le mĂȘme esprit Einstein, qu'au-dehors se trouve un monde immense qui existe indĂ©pendamment de nous autres ĂȘtres humains, et qui se tient devant nous comme une grande et Ă©ternelle Ă©nigme mais accessible, au moins en partie Ă notre perception et Ă notre pensĂ©e. Cette considĂ©ration me fit entrevoir une vĂ©ritable libĂ©ration et je me rendis bientĂŽt compte que les hommes que j'avais appris Ă estimer et Ă admirer avaient trouvĂ©, en s'abandonnant Ă cette occupation, la libĂ©ration intĂ©rieure et la sĂ©rĂ©nitĂ© ». De mĂȘme FrĂ©dĂ©ric Joliot disait que La pure connaissance scientifique nous apporte la paix dans l'Ăąme en chassant les superstitions, en nous affranchissant des terreurs nuisibles et nous donne une conscience de plus en plus exacte de notre situation dans l'univers ».Conclusion La philosophie peut s'honorer par sa fonction critique d'affranchir de l'arrogance du dogmatisme et de l'Ă©troitesse d'esprit de l'attitude commune. Mais plus fondamentalement la libĂ©ration qu'elle promeut opĂ©re une transformation radicale de l'existence. Elle permet Ă celui qui s'y adonne de conquĂ©rir la paix de l'Ăąme et la sagesse qui sont la rĂ©compense Russell dit "l'effet induit" d'un amour dĂ©sintĂ©ressĂ© de la vĂ©ritĂ©. Partager Marqueursdogmatisme, doute, Ă©tonnement, incertitude, libĂ©ration, Liens - Philosophie, opinion, possible, prĂ©jugĂ©s LEloge de l'oisivetĂ© est une pĂ©pite dĂ©nichĂ©e dans l'oeuvre immense et protĂ©iforme de Bertrand Russel. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe pour s'attaquer aux fondements mĂȘmes de la civilisation moderne. DerriĂšre l'humour et l'apparente lĂ©gĂšretĂ© du propos se cache une rĂ©flexion deB Russel dĂ©fend ici l' ''oisivetĂ©'' contre ''La morale du travail [qui] est une morale d'esclave, et le monde moderne n'a nul besoin de l'esclavage.''{p.15} Et d'assurer, ''ce que je veux dire, c'est que le fait de croire que le TRAVAIL est une vertu est la cause de grands maux dans le monde moderne, et que la voie du bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une
Je ne souhaite pas que ce blog devienne une tribune politique. Mais je ne suis pas impermĂ©able Ă ce qui se passe autour de moi. Ma vie est imprĂ©gnĂ©e de mes rencontres et dĂ©couvertes. La politique me passionne attention pas celle qui s'affiche Ă la tĂ©lĂ© et sur de nombreux journaux, la vraie, la science des affaires de la citĂ© comme son origine Ă©tymologique en tĂ©moigne. ConnaĂźtre nos origines celles de l'homme, de la vie, comprendre comment nous vivons, ce que sont les sociĂ©tĂ©s organisĂ©es, ce qu'elles deviennent, comment elles entretiennent des relations, tout cela est fondamentalement passionnant. Ainsi, les discours de nos hommes et femmes politiques y compris ceux qui s'affichent partout en ce moment et qui ont tendance Ă s'emmĂȘler les pinceaux en confondant les sphĂšres publiques et privĂ©es, ces disours donc rĂ©sonnent en moi et m'interpellent. Mes lectures, mes choix de sorties, s'en trouvent souvent orientĂ©es, ou, si elles ne le sont pas, provoquent parfois des avez lu rĂ©cemment dans la rubrique "Humeurs" mon opinion sur le slogan sarkozyen "travaillez plus pour gagner plus". J'avais alors tentĂ© d'illustrer mon propos avec des ouvrages de la littĂ©rature enfantine et ce cher homonyme Jean-François, du Blog Ă Jef nous proposait aussi dans ce billet Ă©crit Ă quatre mains deux livres et un film. J'ai lu celui qui me manquait et voilĂ qu'il tombe Ă point nommĂ©, Ă l'instant mĂȘme oĂč les menaces les plus sĂ©rieuses pĂšsent sur une des Ă©volutions les plus importantes de ces derniĂšres decennies la rĂ©duction de temps de travail. Il faut dire qu'il avait fallut attendre plus de deux gĂ©nĂ©rations pour que Ă nouveau il y ait une rĂ©duction significative. En 1936, le Front Populaire diminuait de huit heures la semaine de travail en passant Ă 40 heures et enfin Ă l'aube du XXI° siĂšcle nous gagnions encore 4 heures d'oisivetĂ© grĂące aux lois Aubry Mitterand nous avait royalement accordĂ© une heure lors de son intronisation en arrivant Ă 35 heures. Pour plus dĂ©tails se reporter Ă cet article historique sur WikipĂ©dia. Mais cela est-il Ă peine tout juste suffisant que nous voilĂ replongĂ©s 70 ans en arriĂšre. Et en plus on voudrait nous faire croire que les "35 heures" Ă©taient une loi rĂ©trograde, passĂ©iste, une formidable erreur dans le concert des Nations. Regardez donc nos voisins ? Ils travaillent eux ! Ben oui ! Mais on dira ce qu'on voudra, j'aime bien ĂȘtre diffĂ©rent surtout quand ma qualitĂ© de vie s'en trouve amĂ©liorĂ©e. Mais voilĂ , il faudrait que les mentalitĂ©s Ă©voluent. Et notamment sur la question de la notion de "Travail". Il est crucial de bien dĂ©finir ce concept. Je vous propose donc de lire ou relire en ces temps obscurs Bertrand Russell et son Ă©loge de l'oisivetĂ©. Je n'en dirais pas plus sur le livre et vous donne juste quelques extraits... Ah ! si, tout de mĂȘme, il a Ă©tĂ© Ă©crit en 1932, et publiĂ© simultanĂ©ment Ă Londres et Ă New-York. Certain pourtant que les inspirateurs des lois du Front Populaire RTT, CongĂ©s payĂ©s... ont dĂ» l'avoir sur leur table de chevĂȘt. Il faudrait l'offir Ă tous ceux qui pensent que le travail libĂšre l'homme... "En effet, j'en suis venu Ă penser que l'on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu'il importe Ă prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes traditionnels." "... la voie du bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une diminution mĂ©thodique du travail." "Il existe deux types de travail le premier consiste Ă dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre... le second, Ă dire Ă quelqu'un d'autre de le faire. Le premier type de travail est dĂ©sagrĂ©able et mal payĂ© ; le second est agrĂ©able et trĂšs bien payĂ©." "La morale du travail est une morale d'esclave, et le monde moderne n'a nul besoin de l'esclavage."Bonne lecture...Eloge de l'oisivetĂ© de Bertrand Russell, Ă©ditions Allia, Petite collection, Paris - 6,10 âŹ.
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